Bulle de filtres : une question débattue

Bulle de filtres : une question débattue

[Décryptages - Générations]

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« Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière. […] La lumière leur vient d’un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. […] Penses-tu que dans une telle situation ils n'aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ? […] Assurément, de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres […] »
Platon, La République, VII.

Pour Eli Pariser, auteur de La bulle de filtres (Penguin, 2012), les internautes qui s’informent via les réseaux sociaux sont dans la même situation que les hommes de la caverne de Platon, dans l’illusion. Ils ne lisent que ce que les algorithmes leur proposent. Or ces propositions sont calculées pour correspondre à leurs centres d’intérêt supposés au vu de leurs consultations. A la fin des fins, ces internautes ne sont confrontés qu’à des informations tautologiques qui répètent en boucle les mêmes points de vue : ils sont comme enfermés dans une bulle cognitive par les filtres des réseaux sociaux.

La bulle de filtres serait, selon Pariser, à l’origine du phénomène de polarisation de la vie politique américaine observé au cours de l’élection présidentielle de 2016, c’est-à-dire de la tendance des électeurs à être renforcés dans leurs convictions au fur et à mesure du déroulement de la campagne électorale.

Fortement médiatisée et reprise par plusieurs leaders d’opinion, la théorie de la bulle de filtres n’est cependant qu’empirique : elle repose sur l’observation des algorithmes des réseaux sociaux plus que sur des études quantitatives rigoureuses. Et elle est, de ce fait, aujourd’hui discutée.

Des chercheurs des universités Stanford et Brown ont ainsi entrepris de mesurer la polarisation de l’électorat américain. A partir d’enquêtes d’opinion réalisées depuis 1996, ils ont construit un indice composite de comportement politique dont l’évolution confirme le phénomène de polarisation. Mais en confrontant cet indice aux pratiques de navigation sur le web, ils sont parvenus à une conclusion opposée à la théorie de la bulle de filtres : sur la période 1996-2012, la tendance à la polarisation est notablement plus faible chez les grands utilisateurs de réseaux sociaux, notamment les jeunes, que parmi les personnes qui s’en tiennent éloignées, en particulier les seniors. Une autre étude, menée à l’université de New York et s’appuyant sur l’analyse sémantique d’un grand nombre de messages Twitter, a de même montré que c'est chez les utilisateurs les plus actifs qu’on constate la plus large diversité des sources d’information et la plus forte capacité à remettre en cause des idées reçues.

Eli Pariser persiste dans son analyse : pour l’auteur de La bulle de filtres, la polarisation de la vie politique par les algorithmes des réseaux sociaux est bien tangible, mais encore émergente, de sorte qu’il est trop tôt pour en mesurer avec précision l’ampleur.

Réel ou seulement potentiel, le phénomène de la bulle de filtres interpelle la démocratie. A ce titre, il semble promis, dans les deux cas, à des débats récurrents.
 

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