Texte initialement publié dans le Globe and Mail.

Tout ce que vous avez entendu au cours des derniers mois au sujet des progrès de l’intelligence artificielle (IA) n’est pas de la science-fiction. C’est bien réel et cela se passe en ce moment même, qu’on le veuille ou non. Toutefois, contrairement à la science-fiction, l’IA ne devrait pas nous effrayer. Car, après tout, il s’agit d’une technologie et, comme pour toute technologie, ses plus grandes implications concernent la façon dont nous choisissons de l’utiliser.

Bien que l’IA existe depuis des décennies, c’est l’émergence récente (et explosive) de l'« IA générative » qui l’a fait connaître. L’IA traditionnelle, celle utilisée dans l’analyse de données et la prédiction de modèles, est courante depuis des années : il suffit de penser à l’application de messagerie de votre téléphone intelligent et à sa capacité de suggérer des mots lorsque vous tapez.

L’IA générative brise le moule en permettant de créer du contenu entièrement nouveau à partir des données que l’utilisateur entre dans le programme. La prévalence et l’incidence croissantes de l’IA traditionnelle et de l’IA générative indiquent clairement que la technologie est bien présente, et qu’elle est là pour rester.

Certes, nous croyons que le Canada a le potentiel d’être un chef de file mondial dans l’utilisation continue et responsable de l’IA, mais seulement si nos gouvernements et nos organisations l’adoptent.

Voici le défi à surmonter : les organisations canadiennes attendent souvent de voir ce que font les autres avant de se laisser tenter par l’IA, et cela doit cesser.

Selon le récent Rapport mondial sur la technologie de KPMG, plus de la moitié (55 %) des entreprises canadiennes estiment que l’IA et l’apprentissage machine constituent les technologies les plus importantes pour les aider à atteindre leurs objectifs d’affaires au cours des trois prochaines années. Pourtant, à peine 5 % des répondants ont indiqué qu’ils faisaient des progrès concrets dans leur stratégie d’IA. Le sondage révélait également que 63 % des grandes organisations canadiennes priorisent l’IA et l’apprentissage machine principalement parce que d’autres chefs de file du marché les ont déjà adoptés, ce qui est beaucoup plus élevé que la moyenne mondiale (45 %).

Il est évident que même si les dirigeants d’entreprise canadiens comprennent l’importance de l’IA pour leur rentabilité future, bon nombre d’entre eux restent spectateurs.Cela doit changer, et rapidement. L’IA est tout simplement une force trop puissante pour que les gouvernements et les organisations l’ignorent.

Le Canada peut recueillir les lauriers de l’IA. Le pays est considéré comme un chef de file mondial en recherche et développement de l’IA, et il est classé cinquième au monde dans le premier indice de référence mondial qui compare les pays selon leur niveau d’investissement, d’innovation et de mise en œuvre en la matière. De nombreux pionniers de l’IA dans le monde, comme Geoffrey Hinton et Yoshua Bengio, vivent au Canada. Nous devons nous appuyer sur cette réputation et faire un pas de plus en adoptant l’IA de manière plus large.

Nous ne pouvons y parvenir qu’en faisant preuve d’audace, ce qui exige des gouvernements, des entreprises, des universités et des citoyens qu’ils fassent acte de foi.Comme nous l’avons vu au cours de la dernière année, la technologie progresse à un rythme incroyablement rapide. En raison du rôle croissant de l’IA dans la progression de la productivité et la prospérité, le Canada doit tirer parti de sa position de chef de file. Cependant, il faut également s’assurer que la technologie est mise en œuvre de manière responsable.

À quoi pourrait concrètement ressembler l’adoption généralisée de l’IA au Canada? Nous imaginons un Canada où les pouvoirs publics réduisent les formalités administratives et offrent de meilleurs services à leurs citoyens parce que les outils basés sur l’IA les aident à moderniser des montagnes de lois non pertinentes, dépassées et répétitives. Nous pensons à un Canada où les épiceries offrent toujours des aliments frais en quantité suffisante, car les détaillants ont recours à l’IA pour analyser et suivre la fraîcheur des produits qui traversent leur chaîne d’approvisionnement. Nous voyons un Canada où les citoyens peuvent obtenir des résultats d’IRM sur place puisque les médecins utilisent l’IA pour déceler les anomalies plus rapidement, plus clairement, avec un maximum de précision et un minimum de biais.

Toutefois, comme de nombreuses figures de proue l’ont exprimé, nous devons agir de façon extrêmement réfléchie, structurée et disciplinée pour nous assurer de récolter les avantages de l’IA sans s’exposer à ses dangers. C’est pourquoi notre utilisation de l’IA doit toujours être tempérée par l’interprétation, le jugement et le bon sens de l’humain. Comme c’est le cas pour l’adoption de toute nouvelle technologie, il y a des dangers; cependant, de nombreuses approches de gestion des risques sont déjà bien comprises :

  1. Balises réglementaires. Il ne s’agit pas de réglementer la technologie elle-même, mais plutôt son utilisation. Par exemple, la Loi sur l’intelligence artificielle et les données (LIAD), l’un des premiers cadres réglementaires du Canada à être proposé pour l’IA, devrait être rapidement adoptée, à condition qu’elle ne freine pas l’innovation et qu’elle soit suffisamment agile pour s’adapter aux inévitables changements futurs.
  2. Étude de cas d’exploration. Au niveau organisationnel, commencez à repérer les nombreux moyens par lesquels l’IA peut faire une différence pour votre entreprise grâce, par exemple, à la prévision de la demande ou à la personnalisation des services à la clientèle. Ensuite, formez votre personnel et sensibilisez-le aux effets de l’IA sur son travail et son potentiel. En effet, l’IA peut gérer des tâches ordinaires infiniment plus rapidement qu’une personne, libérant celle-ci pour qu’elle accomplisse un travail plus profitable.
  3. Mise en œuvre d’un cadre. Après avoir sensibilisé votre personnel, créez puis mettez en œuvre un cadre d’IA responsable qui tient compte de l’intégrité, de la confidentialité et de la fiabilité des données et qui respecte les principes de bonne gouvernance. Votre personnel doit savoir que l’IA le rend plus fort, même si son rôle est considérablement affecté. Tout est une question de confiance
  4. Socialisation active. Enfin, encouragez une culture d’expérimentation courageuse mais prudente envers l’IA parmi les membres du personnel. C’est le seul moyen de réaliser son plein potentiel.

Le plus grand danger encouru est de perdre le contrôle de l’incidence de l’IA sur l’humain et son bien-être, et la façon la plus certaine d’aggraver ce risque est de rester les bras croisés. Cela ne peut être une option. L’IA est la plus récente des révolutions industrielles, et le Canada a l’occasion d’en être un chef de file. Ne pas la saisir contribuerait à écarter le pays de la course.

Zoe Willis est associée chez KPMG au Canada et se spécialise dans les données, le numérique et l’intelligence artificielle. Elio Luongo est chef de la direction et associé principal de KPMG au Canada.