IFRS 16 - La norme qui valait 200Md€

IFRS 16 - La norme qui valait 200Md€

Tribune d’Axel Rebaudières, Associé, Responsable Deal Advisory, et Jean-Philippe Chiarasini, senior manager, parue dans le magazine Capital Finance.

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La nouvelle norme sur la comptabilisation des contrats de location va transformer les indicateurs de mesure de performance des entreprises. La communauté financière dans son ensemble doit se préparer à ce changement.

La nouvelle norme sur la comptabilisation des contrats de location a été publiée par l'IASB le 13 janvier 2016. La date de première application est fixée au 1er janvier 2019. Point d'importance, et nous y reviendrons, une adoption par anticipation est possible sous certaines conditions - la première étant que la norme soit adoptée par l'Union européenne. Officiellement, l'adoption est attendue pour le premier trimestre 2017, mais il n'est pas certain qu'elle intervienne avant 2018. Les changements touchent essentiellement les preneurs. La comptabilisation du côté des bailleurs reste globalement inchangée. Tous les contrats de location sont concernés, de la location du photocopieur jusqu'au bail 3-6-9 du siège social. S'agissant d'une norme IFRS, les groupes utilisant les normes comptables françaises pour leurs comptes sociaux et pour leurs comptes consolidés ne sont pas concernés. De même, la nouvelle norme sera sans conséquence sur le calcul de l'impôt, les règles fiscales restant les mêmes.

Impact sur l'Ebitda et la dette nette

Sous la nouvelle norme IFRS 16, les contrats de location simple seront comptabilisés comme les locations financières. La charge de location précédemment comptabilisée dans l'Ebitda sera remplacée par une charge d'amortissement et une charge financière. L'Ebitda va donc augmenter.

Notre analyse montre une augmentation attendue en moyenne de 12 %, avec un écart important entre les sociétés. Les dix sociétés les plus touchées verront leur Ebitda augmenter en moyenne de plus de 35 % dans les secteurs comme l'hôtellerie ou la distribution.Quant aux engagements de loyer, précédemment considérés comme des engagements hors bilan, ils seront portés au passif du bilan en contrepartie d'une nouvelle immobilisation à l'actif. La dette s'accroîtra, mais de quel montant ? La norme prévoit que la dette de location corresponde à la somme actualisée sur la durée de location des loyers fixes ou ceux qui se fondent sur un indice ou un taux. D'autres particularités sont également à prendre en compte - nous ne les évoquerons pas ici. Quelle durée retenir alors que les contrats prévoient souvent des options de reconduction ou de résiliation anticipée ? C'est ici qu'entre en jeu le jugement de l'entreprise, puisqu'il faudra considérer le scénario où le preneur est « raisonnablement certain » d'exercer l'option. Notre analyse repose sur les données communiquées relatives aux engagements de location simple présentés en hors bilan, ces engagements ne tiennent pas compte de l'estimation de la probabilité de renouvellement ou de résiliation que nous venons d'évoquer. Sur cette base, et par simplification, sans prendre en compte l'effet d'actualisation, la dette des entreprises du CAC 40 augmenterait de 60 Md euros soit, pour certaines, plus du double de l'endettement actuellement présenté au bilan.

Une capacité d'endettement pouvant être réduite

Avec des conséquences majeures sur l'Ebitda et la dette nette, la nouvelle norme sur la comptabilisation des contrats de location doit attirer l'attention de la communauté financière. Ce changement, sur la base des multiples actuellement en vigueur, augmenterait en effet la valeur du CAC 40 de 200 Md euros.

Les entreprises sont les premières concernées. Elles doivent dès maintenant mettre en place les processus adéquats pour suivre et contrôler l'ensemble des contrats de location car chaque engagement de location pris par une filiale se traduira par une hausse de l'endettement du groupe. Nous intervenons actuellement auprès de grands groupes afin de les assister, dans un premier temps, pour le recensement des données pertinentes, pour analyser les contrats complexes et pour faire un premier chiffrage des impacts.

Nos premiers retours d'expérience ont mis en évidence un besoin immédiat d'outils de simulation permettant de visualiser la sensibilité du calcul aux hypothèses clés de durée et de taux d'actualisation, et de comparer les impacts des méthodes de transition. Rapidement, les entreprises se posent la question de l'outil de gestion et de retraitement des contrats de location en régime de croisière - les outils étant à ce jour peu nombreux sur le marché et ayant des couvertures fonctionnelles variées. En dehors de ces étapes directement liées à la mise en place, une nouvelle réflexion peut également être menée sur l'intérêt de louer plutôt que d'acheter, sur l'opportunité de restructurer certains contrats de location ou sur la possibilité d'avoir recours à des contrats de service sans actif dédié plutôt qu'à des contrats de location.

Enfin, un nouvel équilibre devra être trouvé avec les banques, qui vont voir le bilan des groupes s'alourdir de cette nouvelle dette. Les covenants bancaires devront être adaptés, de même que l'évaluation de la capacité d'endettement. D'un côté, l'accroissement de la dette réduit mécaniquement cette capacité, de l'autre, l'augmentation de l'Ebitda en libère. Pour savoir si l'un de ces effets compensera l'autre, il faudra comparer le multiple d'endettement appliqué à l'Ebitda à la durée de l'engagement retenue pour l'estimation de la dette. Cette comparaison sera également l'un des enjeux pour déterminer les impacts sur la valeur.
 

La comptabilité créatrice de valeur ?

La question qui soulève le plus d'incertitude est de savoir comment la communauté financière va appréhender ce bouleversement comptable. Trois scénarios peuvent se réaliser, sans présumer qu'un seul prévaudra sur les autres. A ce stade, nous n'avons qu'une seule certitude : nous allons devoir évoluer dans un environnement instable avant qu'une pratique de marché ne se dessine. Enfin, la norme ayant prévu la possibilité d'appliquer le nouveau référentiel par anticipation et, compte tenu des impacts relutifs sur la valeur, comme illustré par notre analyse, il ne serait pas surprenant de voir un grand nombre de groupes appliquer la nouvelle norme par anticipation - c'est en tout cas ce que nous attendons. Il est probable que nous rentrerons progressivement dans une phase de transition où vont cohabiter plusieurs approches.En supposant l'utilisation d'une méthode d'estimation de la valeur des titres s'appuyant sur une valeur d'entreprise calculée sur la base d'un multiple d'Ebitda à laquelle on déduit le montant de la dette nette, il n'y a pas grand débat sur la question de savoir si la nouvelle norme est créatrice de valeur, même si celle-ci ne repose que sur une simple mathématique comptable. Il faudrait, pour démontrer l'inverse, que la durée moyenne d'utilisation des actifs loués, dont dépend le niveau d'augmentation de la dette nette, soit supérieure au multiple d'Ebitda, sous-jacent de l'accroissement de la valeur d'entreprise. Cela nous paraît d'autant moins probable que nous parlons de contrats par nature généralement courts puisqu'ils étaient précédemment considérés comme des locations simples. Notre analyse du CAC 40 n'identifie aucun cas où la valeur serait dépréciée. Comment le marché va-t-il s'adapter ?

Dans un premier temps, devrait s'ouvrir l'ère des retraitements extra-comptables. Par souci de comparaison, et ce d'autant plus que, comme nous l'avons expliqué, avant 2019 les pratiques ne seront pas uniformes, les retraitements seront obligatoires. Il n'est pas improbable que les analystes s'empressent de défaire ce que les départements comptables des groupes auront mis tant d'ardeur à construire, quitte à reprendre leur propre méthode de retraitements que la plupart effectuaient déjà avant l'application de la norme. L'Ebitda sera retraité de la charge de location, la dette sera réduite des engagements nouvellement comptabilisés au bilan.

Cette période ne devrait pas être longue et ne durera pas plus de quelques années. Il est probable que, rapidement, les sources d'informations nécessaires se tarissent. La première année, point de difficulté, la simple comparaison avec le bilan d'ouverture fournira les données nécessaires. Mais dans quatre ans, dans dix ans... ? Qu'importe, s'il n'est plus possible d'ajuster les comptes, le multiple doit pouvoir l'être. Là encore l'exercice est aisé, la valeur des titres est conservée, les données comptables sont mises à jour du nouveau référentiel, le multiple est ajusté. Notre analyse montre qu'il faudrait réduire le multiple du CAC 40 de 1,1 fois, soit environ 11 %, pour conserver l'équilibre, ces données sont issues d'une moyenne, au cas par cas, les ajustements sont très différents.

Quelle chance de survie donner à cette solution ? Elle repose sur un fondement : que simultanément tout le monde décide de l'appliquer. Les paris sont ouverts. S'il est vraisemblable que cela sera le cas pour les secteurs les plus concernés, qu'en sera-t-il pour les autres ? Dès lors, il ne peut être exclu que progressivement, lentement mais sûrement, la comptabilité prenne le pas sur la valeur...

Au fait, vous a-t-on dit que la nouvelle norme américaine sur le sujet serait différente ?

● Avec l'aimable autorisation de Capital Finance
● Date de parution : 11 novembre 2016
● Auteurs : Axel Rebaudières, Associé, Responsable Deal Advisory, et Jean-Philippe Chiarasini, senior manager

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